Sur les pavés mouillés,
Mordorés sous les jaunes halos,
Il traîne sa carcasse fantomatique.
Son ombre titubante
S'accroche à l'ombre des réverbères.
Un goulot pointant de la poche,
Son imper crasseux le protège tant bien que mal des regards.
L'oeil larmoyant.
La ride seyante malgré la peine.
Il apostrophe le passant agacé.
La voix éraillée,
Il dit son désarroi.
Sa main poisseuse invite comme elle peut l'attention.
On lui jette une poignée de centimes et quelques coups d'oeil gênés
Dans les meilleurs jours.
Ce soir, rien.
Même pas le sourire de l'épicière tunisienne qui lui sourit d'habitude
En fermant son échoppe colorée.
Ce soir l'épicerie est fermée,
De ce gris rideau de fer
Tagué d'un "mort aux arabes".
L'ami clodo ravale sa colère.
Crache un gros glaire entre ses pieds.
Frappe un peu son chien qu'il aime tant.
La pluie arrive et ne le surprend même plus.
Je le vois s'asseoir sur un bout de carton.
Il lève la tête vers ma fenêtre entre-ouverte.
Et là,
Avec un généreux sourire édenté,
Il lève la main pour me saluer.
Merde alors.
A la relecture de cette scène
Je me dis alors:
Après autant de misère, peine, malchance, haine,
Indifférence, racisme, violence, colère, tristesse ...
Comment est-il encore possible
D'autant d'amour?
L'ami clodo est une abstraction de l'humain
Dans tout ce qu'il a de plus brut
Et de plus doux.
Les regards détournés, les changements intempestifs de trottoirs,
Les réactions de mépris ou d'ignorance feinte
Ne seraient donc que le déni de notre propre part d'ignoble!
Lui, sa seule richesse c'est son être.
C'est un trésor.
De l'essence d'humanité.
Un concentré de vie.